Tapis magique… Mille et une églises à l’ombre de l’Ararat. « Les trois sœurs ».

Une immersion en Arménie et en Haut-Karabagh. Juin 2009.

« Les trois sœurs ».

Selon la légende, à Ashtarak vivaient trois sœurs. Toutes trois tombèrent amoureuses du prince Sargis. Pour favoriser la plus jeune, les deux aînées se suicidèrent en se jetant dans le canyon. La première portait une robe de couleur abricot, la seconde, une robe rouge. Inconsolable, la benjamine se vêtit d’une robe blanche et se jeta dans le vide à son tour.

Sargis, ne pouvant supporter le sort cruel des trois jeunes femmes, devint ermite. Il fit ériger trois églises au bord du canyon nommées d’après les couleurs des robes des trois sœurs. Karmravor, de « karmir », rouge, Spitakavor, de « spitak », blanc et Tsiranavor, de « tsiran », abricot.

La mieux préservée est l’église rouge, Karmravor, datant du VIIe siècle. Minuscule chapelle de plan cruciforme, couverte d’un toit aux tuiles rouges et d’un tambour octogonal, elle fut consacrée à la Mère de Dieu. Le poète russe Ossip Mandelstam fut tellement touché par ce bijou d’architecture arménienne qu’il la décrit comme « une inoubliable vision ».

Dans l’enceinte de cette « inoubliable vision », nous rencontrons le gardien qui nous ouvre « son » église, si petite, si parfaite, si émouvante. Nos échanges se limitent à des gestes et des sourires et il pose fièrement pour la photo. Je scrute son visage marqué. Je cherche son regard bienveillant.  Comment a-t-il vécu les changements qu’a connue l’Arménie au cours de sa vie ? Comment a-t-il accepté le manque de liberté sous la domination soviétique, l’étouffement de la religion ? Et quel fut son destin quand arriva l’indépendance et l’effondrement de l’économie ? A-t-il vécu ou survécu ? A-t-il traversé tous ces bouleversements avec fatalisme… comme l’a fait la petite église ?  

Arménie, Karmravor. Juin 2009.
Arménie, Karmravor. Juin 2009.
Arménie, Karmravor. Juin 2009.
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Tapis magique… Mille et une églises à l’ombre de l’Ararat. « L’église de Zvartnots ».

Une immersion en Arménie et en Haut-Karabagh. Juin 2009.

« L’église de Zvartnots ».

L’air est doux, le temps futile, le silence apaisant. La cime blanche immaculée du mont Ararat se dresse derrière les vestiges de l’église circulaire de Zvartnots.

Elle fut érigée au VIIe siècle après l’initiative du catholicos Nersès III, « le Bâtisseur » sur le lieu présumé de la rencontre entre le roi Tiridate d’Arménie et Grégoire l’Illuminateur. Cette rencontre, qui eut lieu au début du IVe siècle, entraîna la conversion de l’Arménie au christianisme en 301.

La cathédrale de Zvartnots, « la force vigilante », fut, par l’alliance des techniques d’architecture byzantine et arménienne, un édifice très complexe, innovateur et élégant. De plan circulaire, les trois étages furent percés de nombreuses fenêtres et couronnés d’un dôme pyramidal, étonnante silhouette, robuste et légère à la fois, une élévation vers le ciel. Détruite par un tremblement de terre au Xe siècle, les ruines se recouvrent de terre et le sanctuaire tombe dans l’oubli.

Inspiré par sa beauté, en l’an mille, le roi des rois Gagik fait élever une église similaire à Ani, l’ancienne capitale de l’Arménie, aujourd’hui en territoire turc. Hélas, elle aussi, s’effondra peu de temps après sa construction.

Près d’un millénaire plus tard, au début du XXe siècle, commencent les fouilles à Zvartnots. Les vestiges de la cathédrale sont excavés et apparaissent des pierres sculptées d’une extraordinaire beauté.

Aujourd’hui, une partie est relevée et nous découvrons l’un des édifices les plus étonnants de la chrétienté. Au centre de l’espace circulaire, nous sommes subjugués par la grandeur du sanctuaire. Entourés d’arcades et de pans de murs arrondis, nous mesurons l’audace de son architecte. Éblouis par sa beauté, nous admirons chapiteaux et reliefs. À l’ombre de l’Ararat, nous déambulons parmi ce qui reste d’un témoignage unique de l’art arménien.

Arménie, Zvartnots. Juin 2009.
Arménie, Zvartnots. Juin 2009.
Arménie, Zvartnots. Juin 2009.
Arménie, Zvartnots. Juin 2009.
Arménie, Zvartnots. Juin 2009.
Arménie, Zvartnots. Juin 2009.
Arménie, Zvartnots. Juin 2009.
Arménie, Zvartnots. Juin 2009.
Arménie, cathédrale de Zvartnots, reconstruction virtuelle de T. Toramanian en tenant compte des dimensions réelles.
Arménie, Zvartnots. Juin 2009.

Tapis magique… Terre des dieux. « Celui d’en bas et celui de l’arrière. » 

Un périple sur l’île de Crète à la découverte de la civilisation minoenne mais pas que… Juin 2011.

« Celui d’en bas et celui de l’arrière. » 

La route est magnifique. Toujours la montagne, toujours la mer. Toujours les lauriers-roses blancs et roses, toujours les genêts jaunes. Chaque virage nous réserve une surprise, chaque bifurcation un panorama différent. D’époustouflantes perspectives s’ouvrent sur la mer. Des baies aux eaux turquoise, des presque-îles, des rochers surgissant de l’eau.

Nous nous éloignons de la côte, puis bifurquons de nouveau en direction de la mer de Libye. Un vieux pont enjambe le Mega Potamos, la « grande rivière ». Construit vers 1850, l’édifice a la forme semblable à celle d’un crochet s’ouvrant vers l’aval lui permettant de mieux résister aux crues.

Peu après, non loin de l’embouchure de la rivière, apparaissent les vestiges du monastère Kato Moni Preveli, « le monastère d’en bas », dédié à saint Jean-le-Baptiste. Sa fondation remonte au Xe siècle. Interdit d’accès, nous contemplons les bâtiments depuis le bord de la route. Le paysage est très sauvage dominé par des montagnes arides. Parmi les bâtiments en ruine subsiste une petite église.

Quelques kilomètres plus loin, dominant la mer, se dresse le Pisa Moni Prveli, « le monastère de l’arrière ».  Au cœur des luttes de libération lors de l’occupation ottomane, il fut détruit puis rebâti à plusieurs reprises. Il joua également un rôle important lors de l’évacuation d’une partie des troupes alliées après la bataille de Crète en 1941. Nous découvrons, au centre d’une cour, une église à deux nefs dédiée à saint Jean-le-Théologien et à l’Annonciation. Elle est décorée de superbes icônes.  Une fontaine offre de l’eau fraîche. L’atmosphère est paisible, pas âme qui vive et nous nous attardons.

Nous reprenons la route en direction du nord entourés de falaises rouges et déchiquetées. Soudain le relief se resserre et nous nous engouffrons dans les gorges de Kourtaliotiko dont les parois atteignent six cents mètres par endroit. 

Grèce, Crète. Juin 2011.
Grèce, Crète, vieux pont. Juin 2011.
Grèce, Crète, monastère Kato Moni Preveli. Juin 2011.
Grèce, Crète, monastère Kato Moni Preveli. Juin 2011.
Pisa Moni Preveli. Juin 2011.
Grèce, Crète, gorges de Kourtaliotiko. Juin 2011.

Tapis magique… Terre des dieux. « Un village, une église. »

Un périple sur l’île de Crète à la découverte de la civilisation minoenne mais pas que… Juin 2011.

« Un village, une église. »

Nous traversons l’île du nord au sud. Les paysages sont sublimes, sauvages. Une suite de virages en épingle à cheveux nous conduit à une plaine côtière. Nous bifurquons vers le petit port de Chora Skafion. De là, une rude montée mène sur un plateau. Nous laissons la voiture près du pont métallique de Vardinoyannis qui enjambe les vertigineuses gorges d’Aradéna.

Le village du même nom fut très prospère durant la période vénitienne, puis ottomane. Les habitants étaient de grands constructeurs navals. Pendant les révolutions de 1770, puis de 1867, les Crétois affrontent héroïquement les Turcs. Après la défaite des révolutionnaires, les Turcs rasent le village.

Nous nous baladons à travers des ruines des maisons envahies par la végétation vers une petite église byzantine dédiée à l’archange Michel. De plan en croix et surmontée d’un dôme écrasé, elle est blanchie à la chaux. Datant du XIVe siècle, elle fut construite sur les ruines d’une basilique antique. C’est dans cette église que les éleveurs venaient prêter serment pour mettre un terme aux différents suscités par des vols de bétail.

Aujourd’hui, c’est l’unique témoin de l’ancienne vie d’Aradéna. La petite église s’élève de la terre rouge tel un vaisseau surplombant les gorges. Dominée par les « montagnes blanches » aux pentes arides où subsistent quelques coulées de neige et encadrée par un ciel bleu azur, c’est une image émouvante au cœur d’un puissant environnement minéral.

Grèce, Crète, Chora Skafion. Juin 2011.
Grèce, Crète, Chora Skafion. Juin 2011
Grèce, Crète, Aradéna. Juin 2011.
Grèce, Crète, Aradéna. juin 2011.
Grèce, Crète, Aradéna. Juin 2011.

Tapis magique… Terre des dieux. « Héritage vénitien, héritage ottoman ». 2/2.

Un périple sur l’île de Crète à la découverte de la civilisation minoenne mais pas que… Juin 2011.

« Héritage vénitien, héritage ottoman ». 2/2.

En 1573, suite à une attaque de pirates, les Vénitiens construisent une forteresse sur l’emplacement de l’ancienne acropole pour surveiller l’entrée du port de Réthymnon.

À peine un siècle plus tard, en 1645, les Ottomans, sous le commandement du sultan Ibrahim, se lancent à sa conquête. Attaquées par mer et par terre, les troupes vénitiennes cherchent refuge dans la forteresse. Mais à 8500 personnes dans un espace si réduit, le choléra apparait et après 23 jours de siège, la cité capitule fin novembre 1645. La garnison et 1500 habitants ont la permission de quitter la cité par la mer, les autres finirons aux galères, les jeunes femmes et les enfants envoyés à Constantinople pour y être vendus comme esclaves. La somptueuse cathédrale Sainte-Marie-des-Anges est transformée en mosquée. 

Après une série de révoltes et l’intervention des grandes puissances, la Crète devient un état autonome, gouverné par le prince George de Grèce mais sous souveraineté ottomane. En 1908, l’île choisit d’être rattachée à la Grèce, ce qui fut accepté par l’Empire ottoman. Réthymnon compte alors entre 5000 et 6000 habitants, moitié musulmans, moitié chrétiens. Les échanges de populations imposés par le traité de Lausanne en 1923 mettent définitivement fin à la présence musulmane en Crète.

C’est seulement après la Seconde Guerre mondiale que tous ses habitants quittent les maisons à l’intérieur des fortifications pour aller s’installer dans la ville moderne au pied de la forteresse.

Aujourd’hui, plus rien ne laisse imaginer une cité bouillonnante d’activité. Sur un plateau aride entouré de murailles renforcées de quatre bastions, se dessinent les silhouettes de quelques constructions ayant échappé au déclin, à la végétation qui reprend possession des lieux et aux destructions volontaires. L’impressionnant dôme de la mosquée du sultan Ibrahim, le délicat clocher de la chapelle Sainte-Catherine, la structure rectiligne d’une résidence de haut fonctionnaire, le toit pyramidal d’une poudrière. Plusieurs rangées d’arcades sont les restes d’un grand complexe d’entrepôts et citernes. Un lustre gît à terre.

Nous parcourons le site qui domine la mer et la ville moderne. Il s’en dégage une certaine tristesse mais également une grande sérénité. En cette fin d’après-midi, les températures sont encore élevées et il n’y a pas âme qui vive. Nous nous attardons, étrangement attirés par ce qui n’est plus. 

Grèce, Crète, Réthymnon, vieille ville, remparts et bastion. Juin 2011.

Tapis magique… Terre des dieux. « Héritage vénitien, héritage ottoman ». 1/2.

Un périple sur l’île de Crète à la découverte de la civilisation minoenne mais pas que… Juin 2011.

« Héritage vénitien, héritage ottoman ». 1/2.

Sur la côte nord de la Crète, Réthymnon est bercée par les eaux bleues de la mer Méditerranée. L’antique Rithymna avait le privilège de frapper sa propre monnaie. Après un long déclin, elle se développe sous les Vénitiens à partir de XIIIe siècle.

Depuis le vieux port dominé par son phare, nous nous immergeons dans la ville blottie contre l’acropole. Nous flânons dans les ruelles pavées où les influences vénitienne et turque restent bien présentes. De jolies demeures de l’ère vénitienne aux couleurs pastel possèdent des balcons en bois ajoutés par les Turcs. La place Rimondi et sa fontaine datent de 1629 et elle doit son nom au recteur de la ville de l’époque. Nous buvons l’eau qui jaillit de la bouche de trois lions de pierre. Dans la rue Palaiogolou se dresse la loggia vénitienne. C’est ici que, jadis, les nobles se réunissaient pour discuter. Le bâtiment carré fut transformé en mosquée pendant l’occupation ottomane, tout comme plusieurs églises.

La petite mosquée Kara Musa Pasha, à l’allure un peu délabrée, est l’ancienne église de la Renaissance, tandis que la mosquée Nerazté était l’église de la Saint-Vierge. Le toit du sanctuaire chrétien fut remplacé par trois dômes mais l’entrée de style Renaissance, flanquée de colonnes, fut conservée.  Le grand minaret, doté de deux balcons, date de 1890. Il devait être selon les ordres donnés « le plus beau minaret d’Orient ». Recouvert d’échafaudages, nous n’en avons qu’un vague aperçu. 

Grèce, Crète, Réthymnon. Juin 2011.
Grèce, Crète, Réthymnon, vieux port. Juin 2011.
Grèce, Crète, Réthymnon, vieux port. Juin 2011.
Grèce, Crète, Réthymnon, fontaine Rimondi. Juin 2011.
Grèce, Crète, Réthymnon, mosquée Kara Musa Pasha. Juin 2011.
Grèce, Crète, Réthymnon, mosquée Nerazté. Juin 2011.
Grèce, Crète, Réthymnon, mosquée Nerazté. Juin 2011.

Tapis magique… La route de la soie. « Kashgar au seuil de deux mondes ». 5/5.

De Xi’an à Tabriz. Octobre/novembre/décembre 2002 – mai/juin 2005.

« Kashgar au seuil de deux mondes ». 5/5.

Le marché est une mare de tons neutres. Le pelage et la fourrure des animaux : noir, gris, beige, brun, chamois, roux, écru, acajou. Les chapans, « manteaux », et les vestes des hommes : noir, gris, ardoise, bleu marine, marron. Les chapeaux et les casquettes : anthracite, noir, gris, beige, blanc cassé. Harnais, selles et colliers, de cuir et de fer : gris, châtain, acier, brun tabac. Le sable : ocre. Les palissades en bois. Les cordes : beige, blanc cassé. Les feuilles argentées des peupliers. Des teintes d’un monde sans prétention. Une palette de couleurs harmonieuses qui se détache contre un ciel limpide, bleu intense.

Les mets sont préparés sur place. Les effluves provenant des échoppes, de thé, de viandes, de pâtes, se mélangent, se marient, se découvrent. La viande est hachée, mélangée aux oignons, poivrons et aulx avant d’être cuite. L’huile bouillonne dans d’énormes poêles noires. Des brochettes d’agneau crépitent sur les braises des feux ouverts dégageant des nuages de fumée et l’odeur de la viande grillée et du cumin. Des pâtes sortent des marmites fumantes, des boulettes de viande flottent dans des sauces pimentées. De la pâte est malaxée avec de grands gestes, les laghmans voltigent dans les airs. Des bols de soupe aux nouilles sont remplis. Les nans, petits pains ronds, s’empilent sur de minuscules tables, du raisin vert et du melon tranché sont étalés à même le sol. Des gobelets de lait caillé rafraîchi avec de la glace pilée et des petits bols de thé brûlant circulent.

Autour de longues tables, baguettes en main, se mélangent jeunes en costume et béret et vieux à l’allure patriarcale. Un festin !

Et puis, dès le crépuscule, le calme revient. Les marchands rangent leurs étals, les bruits s’estompent. Hommes, femmes et enfants plient bagage et prennent le chemin de la maison, lourdement chargés. Les camions quittent la ville en crachant des nuages de fumées noires. Du haut d’un camion, deux vaches observent le défilé avec dédain. Des carrioles tirées par des chevaux manœuvrent entre piétons et cyclistes et des caravanes de petits ânes gris lourdement bâtés trottinent stoïquement sur le bord des routes pour rentrer à la campagne.

Les innombrables peupliers dessinent des ombres allongées sur le désert. Le ciel est voilé de poussière de sable en suspens et une atmosphère mélancolique s’abat sur Kashgar.

Chine, Xinjiang, Kashgar, le marché du dimanche. Novembre 2002.
Chine, Xinjiang, Kashgar, le marché du dimanche. Novembre 2002.
Chine, Xinjiang, Kashgar, le marché du dimanche. Novembre 2002.
Chine, Xinjiang, Kashgar, le marché du dimanche. Novembre 2002.
Chine, Xinjiang, Kashgar, le marché du dimanche. Novembre 2002.
Chine, Xinjiang, Kashgar, le marché du dimanche. Novembre 2002.
Chine, Xinjiang, Kashgar, le marché du dimanche. Novembre 2002.
Chine, Xinjiang, Kashgar, le marché du dimanche. Novembre 2002.
Chine, Xinjiang, Kashgar, le marché du dimanche. Novembre 2002.

Tapis magique… La route de la soie. « Kashgar au seuil de deux mondes ». 4/5.

De Xi’an à Tabriz. Octobre/novembre/décembre 2002 – mai/juin 2005.

« Kashgar au seuil de deux mondes ». 4/5.

Dimanche. Jour de marché. Depuis deux millénaires la vocation principale des Ouïghours est le commerce et aujourd’hui la tradition se perpétue. Le marché de Kashgar est réputé pour être le plus gros marché d’Asie centrale et dès les premières lueurs du jour, camions, tracteurs, charrettes, éleveurs et paysans parfois à pied chargés de leurs marchandises ou accompagnés de leur troupeau convergent vers la ville. Les différentes ethnies venues des pays alentours s’y côtoient.

Un immense enclos enferme la foire aux bestiaux. C’est un monde d’hommes. Les anciens, aux barbes blanches, portent le toppa, haut chapeau noir bordé de fourrure. Les plus jeunes sont vêtus de vestes de costume et coiffés de casquettes. Marchands et clients discutent avec entrain. On tâte les bêtes, vérifie le lainage, ausculte la dentition, examine les sabots. On évalue la couche de graisse, jauge la fourrure. On se renseigne sur l’âge, les capacités, la robustesse de l’animal. Ensuite, le cheval ou le poney est monté, le plus souvent à cru, par des gamins, exercice indispensable.

Suivent les interminables négociations. Une foule se rassemble autour des deux protagonistes. Calmement mais âprement les montants sont proposés, rejetés, renégociés. Des avis sont donnés, des positions prises. L’accord trouvé, les liasses de billets sortent des vestons et changent de main. L’argent est compté sous les yeux de tous. Une ferme poignée de main conclut l’affaire.

Nous errons dans la boue, le fumier et le gravier, observés par des yeux pétillants sur des visages burinés plantés de boucs impériaux. Nous esquivons le coup de sabot d’un cheval agité, baissons les yeux face au regard d’un yak vigoureux ou celui, mauvais, d’un taureau et contournons avec prudence les chameaux de Bactriane. À deux bosses et aux poils longs, capables de supporter les plus grands froids, on ne les trouve sur le marché qu’en hiver. La poussière et les flocons de paille volent dans l’air, scintillants comme des paillettes dans la lumière aveuglante.

La scène est d’une autre ère, rien ne semble avoir changé ici depuis la grande époque de la route de la soie. Au milieu de ce brasage de peuples et de cultures, nous remontons le temps.

Ce qui me frappe est la grande gentillesse des gens. Jeunes ou vieux, les hommes se côtoient avec sollicitude. Les relations sont amicales. Chaque geste est accompli avec respect et attention. Au milieu de cet univers masculin, je me sens vraiment l’étrangère que je suis. Pourtant, à aucun moment j’ai l’impression d’être une intruse. Au contraire, on m’observe avec une curiosité bienveillante. Et dès que je croise une paire d’yeux, un hochement de tête m’est adressé. Ce sont ces regards de bonté, ces visages hors de temps, qui resteront gravés dans ma mémoire.

Chine, Xinjiang, Kashgar, la foire aux bestiaux du dimanche. Novembre 2002.
Chine, Xinjiang, Kashgar, la foire aux bestiaux du dimanche. Novembre 2002.
Chine, Xinjiang, Kashgar, la foire aux bestiaux du dimanche. Novembre 2002.
Chine, Xinjiang, Kashgar, la foire aux bestiaux du dimanche. Novembre 2002.
Chine, Xinjiang, Kashgar, la foire aux bestiaux du dimanche. Novembre 2002.
Chine, Xinjiang, Kashgar, la foire aux bestiaux du dimanche. Novembre 2002.
Chine, Xinjiang, Kashgar, la foire aux bestiaux du dimanche. Novembre 2002.
Chine, Xinjiang, Kashgar, la foire aux bestiaux du dimanche. Novembre 2002.
Chine, Xinjiang, Kashgar, la foire aux bestiaux du dimanche. Novembre 2002.
Chine, Xinjiang, Kashgar, la foire aux bestiaux du dimanche. Novembre 2002.
Chine, Xinjiang, Kashgar, la foire aux bestiaux du dimanche. Novembre 2002.
Chine, Xinjiang, Kashgar, la foire aux bestiaux du dimanche. Novembre 2002.

Tapis magique… La route de la soie. « Kashgar au seuil de deux mondes ». 3/5.

De Xi’an à Tabriz. Octobre/novembre/décembre 2002 – mai/juin 2005.

« Kashgar au seuil de deux mondes ». 3/5.

Nous bifurquons et pénétrons dans le silence étouffé de la vieille ville. Escaliers et passages sombres, ruelles tortueuses et allées étroites constituent un véritable dédale enchâssé par de hauts murs d’adobe des habitations aux doubles portes. Si les deux battants sont fermés, cela signifie qu’il n’y a pas d’homme à la maison ; seule une femme est alors autorisée à entrer. Si un seul battant est ouvert, un homme est présent et ainsi tous les invités sont les bienvenus. Les portes grandes ouvertes signifient que la famille reçoit, néanmoins, il est permis de se joindre à eux.

Nous flânons, traînons, l’atmosphère feutrée nous berce, nous apaise. Et par les portes ouvertes nous captons un aperçu de la vie dans ce quartier millénaire. Les cours intérieures, plantées de figuiers, de géraniums, de vignes et de rosiers, donnent une impression de fraicheur.

Des enfants, crasseux mais heureux, fouettent leurs toupies, jouent avec une roue de vélo, vite abandonnées dès qu’ils nous aperçoivent. Poser pour la photo est autrement plus intéressant !

Dans ce labyrinthe c’est le dallage, défoncé, des ruelles qui nous aide à nous orienter : les pavés hexagonaux indiquent un débouché tandis que les pavés rectangulaires préviennent d’une impasse. Zone d’ombre et de lumière, dans ce quartier figé dans le temps règne la douceur de vivre d’autrefois.

Chine, Xinjiang, Kashgar, vieille ville ouïghoure. Novembre 2002.
Chine, Xinjiang, Kashgar, vieille ville ouïghoure. Novembre 2002.
Chine, Xinjiang, Kashgar, vieille ville ouïghoure. Novembre 2002.
Chine, Xinjiang, Kashgar, vieille ville ouïghoure avec dallage indicateur. Novembre 2002.

Tapis magique… La route de la soie. « Kashgar au seuil de deux mondes ». 2/5.

De Xi’an à Tabriz. Octobre/novembre/décembre 2002 – mai/juin 2005.

« Kashgar au seuil de deux mondes ». 2/5.

Une porte plaquée de tuiles bleues et blanches donne accès au complexe d’Abakh Khoja, le lieu le plus sacré du Xinjiang, et l’un des plus beaux exemples d’architecture islamique en Chine. Abakh Khodja fut un dirigeant puissant, adepte de la secte de la « Montagne blanche » et chef religieux soufi, vénéré comme un prophète.

L’atmosphère dans l’enceinte, planté de nombreux arbres, est sereine. À l’ombre de vieux peupliers se dresse la mosquée funéraire. Construite en briques claires, elle possède de fins minarets élancés aux sommets bombés. Le portique possède un beau plafond à décor géométrique soutenu par de magnifiques piliers en bois aux chapiteaux à muqarnas sculptés de formes géométriques et de fleurs peintes de couleurs vives. Caressé des rayons de soleil qui percent à travers les branches des arbres, de l’ensemble émane de la nostalgie. Car la peinture est écaillée, le bois rongé par le temps, la poussière infiltrée dans les reliefs. Une touche de négligence qui ne fait que rehausser la beauté du petit sanctuaire. Baignés dans cette étrange luminosité, captant une fleur, une guirlande, une touche de jaune ou un éclat de bleu, nous savourons ces instants.

Le mazar, mausolée, se dresse magistralement contre le ciel bleu saphir. Cinq générations reposent dans ce lieu de mémoire. Datant du début du XVIIe siècle, il est composé sur un carré de 36 mètres de côté, soutenu par quatre minarets à profil courbe, et couronné d’un dôme imposant couvert de céramique à glaçure vert empire qui brille intensément au soleil. À l’intérieur gisent les cénotaphes drapés de riches étoffes, soie et brocart. L’une d’entre elles appartient à Iparhan, la petite-fille d’Abakh Khodja, la mystérieuse « concubine parfumée »… 

Au milieu du XVIIIe siècle, l’empereur mandchou Qianlong, en pleine conquête de l’Ouest, entend parler d’Iparhan, une jeune femme ouïghoure d’une grande beauté qui diffuse une fragrance supposée magique. L’empereur, intrigué, exige qu’elle intègre son harem. Elle prend alors le nom de Xiang Fei, « la concubine parfumée »… Iparhan, loin de sa terre natale, est inconsolable et l’empereur, désespéré, lui demande ce qui pourrait la rendre heureuse. « Un arbre avec des feuilles argentées et des fruits dorés », répond-elle. L’empereur, sans attendre, envoie une délégation à Kashgar pour ramener cet arbre connu sous le nom de jujubier et Xiang Fei retrouve enfin la joie.

Les Ouïghours racontent une toute autre version de l’histoire, nettement moins romantique. Selon eux, Iparhan ne cherche qu’à se venger pour l’avoir arraché à sa famille. Elle refuse de se donner à Qianlong et arpente ses appartements dans la Cité interdite avec une dague cachée dans sa robe en attendant le moment où l’empereur l’oblige à venir dans le lit impérial pour l’assassiner. Découverte, elle se donne la mort par strangulation avec un foulard en soie. Quelle que soit la version réelle, Iparhan avait émis le souhait d’être enterrée à Kashgar et Qianlong respecte sa demande. Un convoi de 124 personnes traverse la Chine en trois ans et demi pour rapporter sa dépouille. Elle trouve l’ultime repos au sein du mausolée familial d’Abakh Khoja entourée des siens.

Chine, Xinjiang, Kashgar, complexe d’Abakh Khoja. November 2002.
Chine, Xinjiang, Kashgar, complexe d’Abakh Khoja. November 2002.
Chine, Xinjiang, Kashgar, complexe d’Abakh Khoja. November 2002.
Chine, Xinjiang, Kashgar, mazar d’Abakh Khoja. November 2002.
Chine, Xinjiang, Kashgar, complexe d’Abakh Khoja. November 2002.
Chine, Xinjiang, Kashgar, complexe d’Abakh Khoja. November 2002.
Chine, Xinjiang, Kashgar, complexe d’Abakh Khoja. November 2002.