Au-delà de l’horizon… À l’assaut du ciel.

Dans le norte grande, l’extrême nord du Chili, au bord de l’océan Pacifique, la petite ville d’Arica est construite sur une étroite bande de sable au pied de la colline d’El Morro. La chaîne côtière, véritable muraille face à l’océan, s’élève jusqu’à une plaine centrale d’une altitude de 1000 à 1200 mètres ; la pampa del Tamarugal, pour ensuite devenir la cordillère des Andes, un plateau d’une altitude de 4000 mètres environ constitué d’une chaîne de volcans atteignant plus de 6000 mètres et s’étirant jusqu’à la Terre de Feu. À quelques kilomètres seulement du Pérou au nord et à une centaine de kilomètres de la Bolivie vers l’est, Arica est un point de passage international. Sa situation géographique à l’embouchure du fleuve Azapa lui permet un approvisionnement en eau et une végétation relativement luxuriante comparée au reste du Grand Nord chilien. Quand nous débarquons de l’avion au milieu de l’après-midi, un vent chaud balaie la piste, une bande de sable inscrite au milieu du désert.

 

À l’assaut du ciel, Arica, Chili, novembre 2005.

 

Nous sommes aujourd’hui le premier novembre, jour de la Toussaint, jour férié. Le temps est magnifique et la température est rafraîchie par une brise marine. Les larges plages de sable sont bondées et les vagues du Pacifique déferlent accompagnées d’un rideau d’écume. Mais sous cette apparence paisible sommeille un éternel danger. Le Chili est un des pays au monde les plus touchés par les tremblements de terre et d’innombrables panneaux bleu et blanc affichant une immense vague indiquent la direction à prendre en cas de tsunami. D’énormes lames se brisent sur les rochers et dispersent des embruns dans lesquelles se reflètent les couleurs de l’arc en ciel. Un cimetière de navires rouillés rappelle le passé prospère d’Arica, port d’exportation du minerai d’argent rapporté de la mine de Potosi, en Bolivie. Le soleil descend, la lumière se reflète sur l’étendue mouvante de l’océan. Éblouissante.

 

 

D’abord péruvienne, la province devient définitivement chilienne après la bataille d’Arica. En 1953, la création d’un port libre la propulse dans l’ère moderne, mais Arica, la « ville de l’éternel printemps », n’est aujourd’hui encore, qu’une petite ville tranquille. Les quartiers sont parsemés de maisons basses peintes dans des tons pastel. Les rues sont calmes. Dominant une vaste esplanade se dresse la cathédrale néogothique San Marcos. Sa façade blanche, verte et rose, est tournée vers l’océan. Le président péruvien José Balta charge les ateliers Gustave Eiffel des plans de l’église destinée à la station balnéaire de Ancon au Pérou. Cependant, quand l’Église Matriz d’Arica est détruite par le tremblement de terre de 1868, les autorités péruviennes décident d’en faire bénéficier la ville ravagée. La structure métallique de l’édifice religieux est assemblée sur place et inaugurée en 1876, deux ans après la douane, construite elle aussi par les ateliers de Gustave Eiffel & Cie. Les rues désertes sombrent lentement dans l’ombre et Arica ressemble soudain à une ville fantôme.

 

 

Il fait encore nuit lorsque nous quittons Arica. L’air est frais. Nous prenons la direction du nord avant de bifurquer vers l’est et nous engager dans la vallée du Rio Lluta. Le ciel azur laisse la place à un brouillard de plus en plus dense au fur et à mesure que nous prenons de l’altitude rendant l’atmosphère particulièrement maussade. Dans le village de Pochonchile, nous traversons la rivière pour passer sur la rive gauche. L’église San Geronimo domine la route. À environ soixante kilomètres de la côte pacifique commence l’ascension ; de longs lacets tracés dans une montagne aride. Brusquement nous sortons des nuages et une lumière aveuglante nous surprend. La route s’élève tranquillement, bande d’asphalte noir dans un paysage irréel, sec et désertique, dominé par de grandes dunes de sable. Au dessous de nous, la mer de nuages, blanche et cotonneuse, inonde la vallée, magnifique. D’immenses cactus candélabres sont les seuls signes de végétation. Appelés cardon, ils ne poussent qu’entre 1700 et 3800 mètres d’altitude et leur bois est utilisé en menuiserie. Au bord d’un profond canyon nous apercevons les murailles érodées appartenant au Pukara de Copaquilla, forteresse du XIIe siècle.

 

 

Arrivés à 3500 mètres d’altitude, nous nous arrêtons au bord de la route. En contrebas, au fond d’une large vallée cernée de hautes montagnes est blotti le village de Putre. Les mille deux cent habitants vivent majoritairement de l’agriculture et cultivent des champs en terrasse, mosaïque de tons verts qui entoure le bourg. À l’horizon dominent les sommets enneigés du volcan Nevado de Putre : 5825 mètres. Nous sommes au bout du monde.

 

 

La route continue de grimper sur l’Altiplano et suit le cours du Rio Lauca. Des canards et des queltehua de la puna, oies sauvages andines, flottent sur la surface de l’eau. Les vigognes font leur apparition. De la famille du lama, elles ont le poil court et brun, un cou long et musclé et un museau fin. La vallée s’élargit et le paysage se confond dans les tons variant de l’ocre au jaune et de brun à dorée, éclairée par un soleil de haute montagne, crue et limpide. De la mousse se développe sur les rochers. Puis surgissent les cônes parfaits et enneigées des volcans jumeaux Payachata : Parinacote et Pomerape. Las Cuevas est l’entrée officielle du Parque national Lauca et nous nous arrêtons au poste des carabineros. La petite baraque semble déserte, le levier est ouvert et seuls quelques gentils alpagas aux poils longs qui ressemblent à des moutons aux cous et aux pattes étirés nous observent. À défaut d’un contrôle, nous continuons.

 

 

Les Lagunes de Cotacotani sont entourées de bofedales, sorte de tourbes marécageuses évoquant un tapis de mousse vert. Sur les rives de lave de cet ensemble de lagunes aux eaux émeraude reliées entres elles, paissent des colonies de lamas, d’alpagas et de vigognes. Je suis enfin au cœur des Andes ! Le paysage est sublime, le ciel bleu indigo, les volcans majestueux. Le célèbre lac Chungara n’est plus loin.

 

 

À 4570 mètres d’altitude et à cent quatre-vingt-douze kilomètres de l’océan Pacifique, le lac Chungara est l’un des plus haut du monde. Ce lac peu profond fut formé lorsqu’une coulée de lave du volcan Parinacota qui domine le lac au nord a barricadé la petite rivière créée par la fonte des neiges. Le lac Chungara est entouré de volcans géants : le Parinacota et le Pomerape cumulant à 6342 et 6282 mètres d’altitude, l’Acotango, 6050 mètres, le Guallatiri, fumant abondamment, 6060 mètres, et, du côté bolivien, le Sajama qui se dresse à 6542 mètres au-dessus du niveau de la mer. Le poste frontalier avec la Bolivie est juste là et La Paz n’est plus qu’à trois cents kilomètres.

 

 

Ici, au cœur de l’Altiplano chilien, le paysage est imposant. Les eaux impassibles du lac, bleues profondes, reflètent les images des volcans et leurs sommets enneigés. Les rives du lac sont parsemées de blocs de lave. Au bord de l’eau, sur du sable beige, poussent des touffes d’herbe rêche et des bofedales. Une colonie de flamants roses, une grande variété de canards et différentes espèces d’oiseaux donnent de la douceur à cet endroit qui dégage une immense puissance dominée par des couleurs minérales : ocre, gris et blanc, puis des bleues durs et des verts soutenus. Des troupeaux d’alpagas et de vigognes se déplacent calmement sur le rivage. Il n’y a pas un souffle d’air, le silence est presque pesant. Seuls les cris d’oiseaux ou le hennissement des vigognes déchirent parfois la quiétude. Nous nous promenons sur la plage. La perspective changeante nous incite à nous arrêter, à traîner, à s’imprégner de cette image grandiose. Un univers où l’air est raréfié, où la vie passe au ralenti, où le temps est arrêté…semble-t-il… Le lac Chungara est bouleversant de beauté.

 

Les effets d’altitude commencent à se faire sentir : j’ai le souffle court, le cœur qui bat plus vite. Vient la migraine. Il est temps de partir, temps d’amorcer la descente. Arrivé à Las Cuevas, Philippe s’arrête devant le poste des carabineiros. L’endroit est toujours aussi désert. Pas un carabinero aux alentours, sauf… Un alpaga laineux arrive tranquillement. Il s’incline pour observer attentivement Philippe avant de faire le tour de la voiture et me soumettre à un regard investigateur. Puis, avec un geste las et ennuyé il s’éloigne joindre le reste de son troupeau qui broute un peu plus loin. Contrôle inédit dans un lieu singulier !

 

 

De la famille des camélidés, les lamas sont des mammifères de taille moyenne, à l’allure d’un chameau sans bosse. Ils vivent dans les hautes pampas jusqu’à 4 000 mètres d’altitude, les marécages, et les déserts d’Amérique du Sud. Tous les lamas sont des animaux élancés et hauts sur pattes. Ils possèdent un cou long, une tête pointue, de grands yeux bordés de longs cils qui les protègent des poussières, des oreilles dressées, une queue courte et une toison épaisse. La taille et le poids des lamas varient d’environ quatre vingt dix centimètres de hauteur au garrot chez la vigogne, le plus petit de tous, à un mètre vingt de hauteur au garrot pour le lama. Leur espérance de vie est de vingt à vingt cinq ans. Les lamas se nourrissent d’herbes et de feuillages. Leurs sabots avec une sole de pattes en plaque cornée revêtue d’un épais coussinet élastique leur permettent de rechercher leur nourriture sur des terrains accidentés. Ils vivent en petits groupes menés par un mâle, de cinq à dix femelles et de leur progéniture. Les jeunes mâles quittent le groupe et se rassemblent. De temps à autre, l’un d’eux défi le chef du troupeau des femelles. S’il remporte le combat, il dirige le harem. Le temps de gestation est de onze mois. La mère allaitera son petit pendant près de huit mois. Lorsqu’ils s’affrontent ou sont irrités, les lamas abaissent les oreilles et crachent sur leurs adversaires. Ils possèdent une bonne vue, mais leur ouïe et leur odorat ne sont pas très développés.

 

Les lamas sont représentés par quatre espèces. Le guanaco, lama guanicoe, est la seule espèce sauvage. Il a un pelage ras, est de couleur brun cannelle légèrement doré et blanc crème au niveau du ventre. La vigogne, vicugna vicugna, est le plus petit des lamas. Elle est plus claire et porte parfois une longue bavette blanche sous le cou. Elle n’est pas domesticable. Le lama proprement dit ; lama glama, est le plus imposant de tous. Il est utilisé comme animal de charge mais on mange aussi sa viande et utilise sa laine la plus épaisse de toutes. L’alpaga, lama pacos, est un peu plus court sur patte, il a une grosse fourrure blanche, noire ou grise et a une bonne production de laine. Domestiqué, il existe des élevages.

 

 

La route serpente en suivant les courbes du terrain à travers des montagnes dénudées dans une longue et douce descente. À l’approche de la vallée de la Lluta, la route plonge et descend en grands virages. De gigantesques dunes de sables qui finiront dans l’océan remplacent la pierre. Au fond de la vallée, la rivière permet une végétation abondante avec palmiers et arbres exotiques. Dense verdure de part et autre d’un ruban argenté, puis l’ocre et le vide. L’image me rappelle la vallée du Nil en Égypte. Le brouillard s’est dissipé. Sur les pentes des montagnes nous apercevons des géoglyphes précolombiens représentant des lamas et des figures humaines réalisées en regroupant des pierres foncées sur un sol plus clair. Elles indiquent la direction vers Tiahuanaco près du lac Titicaca distant de plus de deux cent kilomètres et dont la culture se diffuse jusqu’aux rivages du Pacifique dans la seconde moitié du Ier millénaire après Jésus-Christ.

 

 

Nous sommes de retour à Arica. Aujourd’hui, nous avons volé des plages de l’océan Pacifique jusqu’aux hauts plateaux de 4500 mètres dominés des volcans culminants à plus de 6000 mètres d’altitude ! Unique. Ce matin, nous étions dans un environnement de montagne, austère et somptueux, où nous avons rencontré une faune surprenante. Maintenant, au coucher du soleil, nous nous baladons sur une plage de pierres volcaniques et de sable fin. De gigantesques vagues se fracassent contre les rochers noirs, diffusant des voiles d’embruns salés. Des nuées d’oiseaux rasent la surface de l’eau. Les crabes se reposent dans les flaques d’eaux en attendant la marée haute. La bise est fraîche. Vers l’ouest s’étendent l’immensité et la solitude de l’océan. Vers l’est s’élève une barrière de pierre, austère et perfide. Contrastes grandioses. La nuit tombe et le brouillard enveloppe doucement les côtes. Soudain, le monde se réduit à un minuscule espace, aux antipodes du monde infini qu’aujourd’hui nous avons traversé…

 

© Texte & photos : Annette Rossi.

Image d’en tête : Le lac Chungara et  le volcan Parinacota.

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