Une immersion en Arménie et en Haut-Karabagh. Juin 2009.
« Le mont Ararat. »
Dominant la ville de Yérévan, l’Ararat, montagne mythique, est si éblouissante, si grandiose, que son sommet, culminant à 5165 mètres, semble irréel. Une hallucination faite de neige et de glace dissimulant un socle de lave et une strate basaltique domptant le feu qui sommeille dans ses entrailles. Une cime aperçue un jour par Noé flottant avec détachement au-dessus des eaux du déluge.
La Genèse : « Et Dieu fit passer un vent sur la terre, et les eaux baissèrent, et les fontaines de l’abîme et les écluses des cieux se fermèrent, et la pluie cessa de tomber des cieux. Et les eaux se retirèrent de dessus la terre peu à peu ; et les eaux diminuèrent au bout de cent cinquante jours, et l’arche s’arrêta sur les montagnes d’Ararat ».
Appelé Massis par les Arméniens, l’Ararat, haut lieu historique, au carrefour des civilisations entre les routes d’Orient et d’Occident, fut autrefois englobé dans les antiques royaumes d’Ourartou et d’Arménie, puis dans l’Empire ottoman.
Mon regard parcourt la plaine et s’accroche sur le sommet de la montagne. Elle semble si près et pourtant tellement inaccessible. L’Ararat, en terre ennemie, est le symbole poignant d’un pays auquel elle fut arrachée… Car la perte de la montagne, pour les Arméniens, est une blessure profonde, inguérissable : « Il est notre honneur, notre histoire, notre tristesse, notre paradis perdu ».
Cette perte est due au tracé des frontières entre l’Arménie et la Turquie définie par le traité de Kars en 1921. Le mont Ararat échoue à la Turquie. L’Arménie, intégrée à l’Union soviétique devenue République socialiste soviétique d’Arménie, perd son icône symbole de la terre historique. Depuis, la frontière est fermée. Pourtant, sur le drapeau et les armoiries arméniens est représentée la montagne sacrée.
Dans les années 1950, l’emblème devient la source d’un différend entre l’Union soviétique et la Turquie. Cette dernière conteste l’image de l’Ararat utilisée par l’Arménie parce que localisé sur son territoire. Elle considère cela comme une revendication territoriale soviétique. Nikita Khrouchtchev, dirigeant de l’Union soviétique de l’époque, répond : « Pourquoi votre drapeau contient-il une représentation de la lune ? Après tout, la lune n’appartient pas à la Turquie, ni même sa moitié… Voulez-vous prendre le contrôle de l’univers tout entier ? ». Le gouvernement turc abandonne sa plainte.



