De Xi’an à Tabriz. Octobre/novembre/décembre 2002 – mai/juin 2005.
« Kashgar au seuil de deux mondes ». 2/5.
Une porte plaquée de tuiles bleues et blanches donne accès au complexe d’Abakh Khoja, le lieu le plus sacré du Xinjiang, et l’un des plus beaux exemples d’architecture islamique en Chine. Abakh Khodja fut un dirigeant puissant, adepte de la secte de la « Montagne blanche » et chef religieux soufi, vénéré comme un prophète.
L’atmosphère dans l’enceinte, planté de nombreux arbres, est sereine. À l’ombre de vieux peupliers se dresse la mosquée funéraire. Construite en briques claires, elle possède de fins minarets élancés aux sommets bombés. Le portique possède un beau plafond à décor géométrique soutenu par de magnifiques piliers en bois aux chapiteaux à muqarnas sculptés de formes géométriques et de fleurs peintes de couleurs vives. Caressé des rayons de soleil qui percent à travers les branches des arbres, de l’ensemble émane de la nostalgie. Car la peinture est écaillée, le bois rongé par le temps, la poussière infiltrée dans les reliefs. Une touche de négligence qui ne fait que rehausser la beauté du petit sanctuaire. Baignés dans cette étrange luminosité, captant une fleur, une guirlande, une touche de jaune ou un éclat de bleu, nous savourons ces instants.
Le mazar, mausolée, se dresse magistralement contre le ciel bleu saphir. Cinq générations reposent dans ce lieu de mémoire. Datant du début du XVIIe siècle, il est composé sur un carré de 36 mètres de côté, soutenu par quatre minarets à profil courbe, et couronné d’un dôme imposant couvert de céramique à glaçure vert empire qui brille intensément au soleil. À l’intérieur gisent les cénotaphes drapés de riches étoffes, soie et brocart. L’une d’entre elles appartient à Iparhan, la petite-fille d’Abakh Khodja, la mystérieuse « concubine parfumée »…
Au milieu du XVIIIe siècle, l’empereur mandchou Qianlong, en pleine conquête de l’Ouest, entend parler d’Iparhan, une jeune femme ouïghoure d’une grande beauté qui diffuse une fragrance supposée magique. L’empereur, intrigué, exige qu’elle intègre son harem. Elle prend alors le nom de Xiang Fei, « la concubine parfumée »… Iparhan, loin de sa terre natale, est inconsolable et l’empereur, désespéré, lui demande ce qui pourrait la rendre heureuse. « Un arbre avec des feuilles argentées et des fruits dorés », répond-elle. L’empereur, sans attendre, envoie une délégation à Kashgar pour ramener cet arbre connu sous le nom de jujubier et Xiang Fei retrouve enfin la joie.
Les Ouïghours racontent une toute autre version de l’histoire, nettement moins romantique. Selon eux, Iparhan ne cherche qu’à se venger pour l’avoir arraché à sa famille. Elle refuse de se donner à Qianlong et arpente ses appartements dans la Cité interdite avec une dague cachée dans sa robe en attendant le moment où l’empereur l’oblige à venir dans le lit impérial pour l’assassiner. Découverte, elle se donne la mort par strangulation avec un foulard en soie. Quelle que soit la version réelle, Iparhan avait émis le souhait d’être enterrée à Kashgar et Qianlong respecte sa demande. Un convoi de 124 personnes traverse la Chine en trois ans et demi pour rapporter sa dépouille. Elle trouve l’ultime repos au sein du mausolée familial d’Abakh Khoja entourée des siens.






