De Xi’an à Tabriz. Octobre/novembre/décembre 2002 – mai/juin 2005.
« Kashgar au seuil de deux mondes ». 4/5.
Dimanche. Jour de marché. Depuis deux millénaires la vocation principale des Ouïghours est le commerce et aujourd’hui la tradition se perpétue. Le marché de Kashgar est réputé pour être le plus gros marché d’Asie centrale et dès les premières lueurs du jour, camions, tracteurs, charrettes, éleveurs et paysans parfois à pied chargés de leurs marchandises ou accompagnés de leur troupeau convergent vers la ville. Les différentes ethnies venues des pays alentours s’y côtoient.
Un immense enclos enferme la foire aux bestiaux. C’est un monde d’hommes. Les anciens, aux barbes blanches, portent le toppa, haut chapeau noir bordé de fourrure. Les plus jeunes sont vêtus de vestes de costume et coiffés de casquettes. Marchands et clients discutent avec entrain. On tâte les bêtes, vérifie le lainage, ausculte la dentition, examine les sabots. On évalue la couche de graisse, jauge la fourrure. On se renseigne sur l’âge, les capacités, la robustesse de l’animal. Ensuite, le cheval ou le poney est monté, le plus souvent à cru, par des gamins, exercice indispensable.
Suivent les interminables négociations. Une foule se rassemble autour des deux protagonistes. Calmement mais âprement les montants sont proposés, rejetés, renégociés. Des avis sont donnés, des positions prises. L’accord trouvé, les liasses de billets sortent des vestons et changent de main. L’argent est compté sous les yeux de tous. Une ferme poignée de main conclut l’affaire.
Nous errons dans la boue, le fumier et le gravier, observés par des yeux pétillants sur des visages burinés plantés de boucs impériaux. Nous esquivons le coup de sabot d’un cheval agité, baissons les yeux face au regard d’un yak vigoureux ou celui, mauvais, d’un taureau et contournons avec prudence les chameaux de Bactriane. À deux bosses et aux poils longs, capables de supporter les plus grands froids, on ne les trouve sur le marché qu’en hiver. La poussière et les flocons de paille volent dans l’air, scintillants comme des paillettes dans la lumière aveuglante.
La scène est d’une autre ère, rien ne semble avoir changé ici depuis la grande époque de la route de la soie. Au milieu de ce brasage de peuples et de cultures, nous remontons le temps.
Ce qui me frappe est la grande gentillesse des gens. Jeunes ou vieux, les hommes se côtoient avec sollicitude. Les relations sont amicales. Chaque geste est accompli avec respect et attention. Au milieu de cet univers masculin, je me sens vraiment l’étrangère que je suis. Pourtant, à aucun moment j’ai l’impression d’être une intruse. Au contraire, on m’observe avec une curiosité bienveillante. Et dès que je croise une paire d’yeux, un hochement de tête m’est adressé. Ce sont ces regards de bonté, ces visages hors de temps, qui resteront gravés dans ma mémoire.











