Une immersion en Arménie et en Haut-Karabagh. Juin 2009.
« Les trois sœurs ».
Selon la légende, à Ashtarak vivaient trois sœurs. Toutes trois tombèrent amoureuses du prince Sargis. Pour favoriser la plus jeune, les deux aînées se suicidèrent en se jetant dans le canyon. La première portait une robe de couleur abricot, la seconde, une robe rouge. Inconsolable, la benjamine se vêtit d’une robe blanche et se jeta dans le vide à son tour.
Sargis, ne pouvant supporter le sort cruel des trois jeunes femmes, devint ermite. Il fit ériger trois églises au bord du canyon nommées d’après les couleurs des robes des trois sœurs. Karmravor, de « karmir », rouge, Spitakavor, de « spitak », blanc et Tsiranavor, de « tsiran », abricot.
La mieux préservée est l’église rouge, Karmravor, datant du VIIe siècle. Minuscule chapelle de plan cruciforme, couverte d’un toit aux tuiles rouges et d’un tambour octogonal, elle fut consacrée à la Mère de Dieu. Le poète russe Ossip Mandelstam fut tellement touché par ce bijou d’architecture arménienne qu’il la décrit comme « une inoubliable vision ».
Dans l’enceinte de cette « inoubliable vision », nous rencontrons le gardien qui nous ouvre « son » église, si petite, si parfaite, si émouvante. Nos échanges se limitent à des gestes et des sourires et il pose fièrement pour la photo. Je scrute son visage marqué. Je cherche son regard bienveillant. Comment a-t-il vécu les changements qu’a connue l’Arménie au cours de sa vie ? Comment a-t-il accepté le manque de liberté sous la domination soviétique, l’étouffement de la religion ? Et quel fut son destin quand arriva l’indépendance et l’effondrement de l’économie ? A-t-il vécu ou survécu ? A-t-il traversé tous ces bouleversements avec fatalisme… comme l’a fait la petite église ?


