Le Haut-Karabagh, une terre en souffrance

Avec une altitude moyenne de 1100 mètres, le Haut-Karabagh se situe sur la frange nord-est du haut-plateau arménien et dans le sud-est du Petit Caucase. Karabagh signifie littéralement « jardin noir », du turc kara, « noir », et du persan bagh, « jardin », en référence à son sol volcanique, très fertile. Le Haut-Karabagh est souvent appelé Artsakh en référence à la dixième province du royaume d’Arménie. Cette appellation dérive du nom du roi d’Arménie Artaxias Ier, fondateur de la dynastie artaxiade au IIe siècle avant Jésus-Christ. 

C’est une contrée méconnue, cernée de montagnes, hantée par des nuages de plomb et des voiles de brouillard gris perle ou baignée du soleil éblouissant des hautes altitudes. 

Pendant la période soviétique, cette terre, historiquement arménienne et majoritairement peuplée d’Arméniens, fut intégrée à la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan et les tensions entre les populations azéries et arméniennes apparurent. Les pourparlers concernant le rattachement à l’Arménie débutèrent pacifiquement vers le milieu des années 1980, mais le mouvement se transforma en conflit armé. 

La déclaration d’indépendance du Haut-Karabagh le 2 septembre 1991 déclencha la guerre aboutissant à des allégations de nettoyage ethnique par les deux camps. Suite aux combats de l’hiver 1992 et face à la catastrophe humanitaire résultant du blocus imposé par l’Azerbaïdjan, une médiation internationale tenta de trouver une résolution qui satisfasse les intérêts des deux côtés. En vain. 
Le 18 mai 1992, les troupes arméniennes prirent le contrôle de la ville de Berdzor-Latchin, dans l’étroit corridor reliant l’Arménie au Karabagh. Une voie d’accès terrestre fut ainsi ouverte vers l’Arménie et l’aide humanitaire put enfin être acheminée. 
Mais le conflit s’intensifia. Au printemps 1993, les forces arméniennes s’approprièrent d’autres régions à l’extérieur de l’enclave, provoquant des protestations internationales contre les Arméniens et soulevant des menaces d’intervention d’autres pays de la région. Début 1994, les Arméniens contrôlaient la totalité du territoire. Enfin, en mai, grâce à la médiation russe, un cessez-le-feu fut signé. 
Cependant, l’enclave séparatiste en territoire azéri ne fut pas reconnue par la communauté internationale.

Juin 2009. Nous passons quatre jours en Haut Karabagh. Nous découvrons un pays magnifique, des monastères sublimes et une population attachante.

Nous nous présentons au Ministère des Affaires Étrangères, situé au 28, rue Azetamardikneri, où on nous délivre un visa qui nous permettra, sous la protection précaire d’un simple cessez-le-feu, de circuler librement dans l’enclave, à l’exception de la ligne de front. Nous sommes en règle : en possession d’un visa pour un pays qui n’existe pas. Ce visa collé dans nos passeports nous interdit l’entrée en Azerbaïdjan. Pourtant, nous sommes au beau milieu de l’Azerbaïdjan ! Ayant fait le choix de visiter ce pays obscur, nous en acceptons les lois. Les lois d’un État dont le statut international reste indéterminé et qui est considéré comme « objet étatique mal identifié ». Avons-nous, par le seul fait de notre venue, reconnu la République du Haut-Karabagh ? En achetant ce visa, avons-nous accepté l’existence de ce pays virtuel ? Une république avec un président, un palais présidentiel, un hymne national, un drapeau, une constitution, une assemblée nationale, des ministères, une armée, un corps de police et des tribunaux… bien réels… 

Aussi réels que ses paysages, vallonnés, boisés et verdoyants, et ses champs de coquelicots à l’infini. Aussi réels que ses églises et ses monastères empreints d’histoire…

La souveraineté sur le Haut-Karabagh est disputée par l’Arménie, qui soutient sa politique d’indépendance, et l’Azerbaïdjan, qui considère la région comme la sienne. Et bien qu’un cessez-le-feu soit en vigueur, des accrochages meurtriers éclatent régulièrement le long de la frontière où sont installées les forces arméniennes. La situation reste complexe car nous sommes dans un pays qui n’existe pas… 

Juin 2009. Le corridor de Lachine.

Le drapeau du Haut-Karabagh flotte fièrement dans le ciel au-dessus du Parlement de Stepanakert. Il a repris les couleurs de celui de l’Arménie, avec les mêmes bandes horizontales rouge, bleue et orange, mais se différencie par un chevron en zigzag qui symbolise la séparation de ses terres et de l’Arménie. 

Juin 2009. Stepanakert, le Parlement.

Nous flânons, nous échangeons avec les gens, d’une gentillesse désarmante. La communication est difficile. Nous ne parlons ni l’arménien, ni le russe, eux ni l’anglais ni le français. Les échanges passent par quelques phrases, quelques mots, des gestes, des sourires. Un peuple charmant, prêt à se lancer dans un futur meilleur. Leurs sacrifices n’ont pas été vains, mais le prix à payer a été lourd. Chaque famille porte le deuil, chaque personne a un parent, un frère, un oncle, un cousin, un ami qui s’est battu pendant le conflit. Nombreux sont les vétérans handicapés. Le souvenir de la guerre, qui aurait fait entre vingt et trente mille morts et plus d’un million de réfugiés, Arméniens et Azéris, entre 1988 et 1994, est loin d’être effacé. 

Le Haut-Karabagh reste un témoignage poignant de l’histoire tourmentée des peuples de la région, stigmates des conflits ethniques les plus destructeurs nés après la chute et la décomposition de l’Union soviétique. 

Pourtant l’histoire du petit territoire montagneux reste méconnue. Ignoré, oublié, son isolement aux confins du Caucase, à l’intérieur de l’Azerbaïdjan, n’arrange rien. Sa seule porte d’entrée passe par l’Arménie, sa mère patrie. Or l’Arménie, elle aussi, est un pays isolé. Encerclée par la Turquie, avec laquelle les relations sont extrêmement tendues, l’Azerbaïdjan, sur le pied de guerre, la Géorgie, en conflit avec la Russie alliée de l’Arménie, et l’Iran, avec qui l’entente est bonne mais source de problèmes géopolitiques, elle est dans une impasse. 

Le héros national Monte Melkonian, tué en 1993, a dit : « Si nous perdons l’Artsakh, nous tournerons la dernière page de l’histoire de notre peuple ». 

Les Arméniens n’ont pas perdu l’Artsakh et la dernière page de leur histoire n’est pas tournée. Mais ont-ils réellement gagné cette guerre ? 

Juin 2009. Le monastère de Gandzasar.

Le Haut-Karabagh, véritable poudrière, oscille entre guerre et paix. Le « jardin noir » vit une indépendance de facto susceptible et fragile. La trêve n’est qu’une trêve. La guerre guette le long des frontières, ronge le moral de la population, menace l’avenir. La paix, comme le pays, n’est qu’une illusion.

Juin 2009. Forteresse d’Askeran.

Actualités…

Nuit gémissante, nuit de mort ; matin de deuil à deux tranchants ; soleil noir… soleil aveuglant. 

Grégoire de Narek, grand poète et mystique arménien. An mille. 

Ces paroles traduisent la détresse d’un peuple. Car, la seconde guerre du Haut-Karabagh qui opposa le territoire à l’Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie, s’est soldée par la défaite des Arméniens. Le 9 novembre 2020 fut signé un accord de fin des hostilités. 

Reste un pays désemparé. La cathédrale de Chouchi est une nouvelle fois ravagée. Des tombes sont profanées. Plusieurs centaines de soldats sont toujours portés disparus. Stepanakert est dévastée par les bombes, vidée de sa population. Pourtant, la ville ne sera pas donnée à l’Azerbaïdjan mais restera sous contrôle russe. Encerclée de territoires ennemis que va-t-elle devenir ? Les autorités appellent les habitants à revenir mais quel avenir auront-ils ?

Dans le reste du Haut-Karabagh, des milliers d’Arméniens ont dû quitter leur foyer en prévision de l’application de l’accord de fin de conflit. Certains d’entre eux ont incendié leur maison pour ne pas qu’elles soient occupées par les Turcs azéris. Ils ont pris ce qu’ils pouvaient emporter, laissant leur bétail, leurs souvenirs et leur cœur. Laissant aussi leurs ancêtres enterrés ici, dans le « jardin noir ». 

Les images sont terrifiantes, d’une immense et profonde tristesse. Je pense aux personnes que nous avions rencontrées là-bas. Au gardien d’Amaras et à son fils, aujourd’hui devenu un jeune adulte. A-t-il combattu ? Est-il toujours en vie ? Les prêtres, quelle peine doivent-ils ressentir en abandonnant leurs églises ? Que vont devenir ces sanctuaires parfois vieux de plus de mille ans ?

Ces lieux saints empreints de l’âme arménienne, vont-ils être détruits ou transformés en mosquées ? La crypte à Amaras, va-t-elle être préservée ? Tant de questions que nous n’aimerions pas nous poser. 

Juin 2009. Amaras, crypte.

Le 14 septembre 2022, l’Arménie et l’Azerbaïdjan se sont accusées mutuellement d’avoir mené de nouvelles attaques. Cent cinq militaires arméniens et cinquante soldats azerbaïdjanais seraient morts. La Russie a aussitôt annoncé un cessez-le-feu, violé par les deux camps. 

Depuis le 12 décembre 2022, des militants azerbaïdjanais envoyés par Bakou empêchent la circulation sur l’unique route qui relie la province à l’Arménie. Ce blocus a suscité de nombreuses protestations car, selon la déclaration trilatérale de l’Azerbaïdjan, de l’Arménie et de la Russie de novembre 2020, mettant fin à la guerre qui s’était déroulée durant l’automne, le corridor est « sous le contrôle du contingent russe de maintien de la paix » et l’Azerbaïdjan doit y garantir la libre circulation. La fermeture du couloir a entraîné des pénuries alimentaires, le rationnement de l’électricité et du gaz naturel et l’interruption des communications avec le monde extérieur infligeant ainsi des dommages collectifs à plus de cent vingt mille civils. Amnesty International a averti que « des milliers de vies seraient en péril ».

Encouragé par son succès militaire lors de la guerre de l’automne 2020, l’Azerbaïdjan entend exercer son contrôle sur toute la région. En janvier 2023, le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev a déclaré que les habitants qui ne voudraient pas prendre la citoyenneté azerbaïdjanaise, « peuvent partir, la voie est ouverte, personne ne s’y opposera ». 

Le mercredi 22 février 2023, la Cour internationale de justice a ordonné à l’Azerbaïdjan d’« assurer la circulation sans entraves des personnes, des véhicules et des marchandises le long du corridor de Latchine ». En avril 2023, des soldats azerbaïdjanais ferment définitivement le corridor, privant de nourriture, de médicaments, de pétrole et d’électricité les habitants de l’enclave, provoquant une crise humanitaire catastrophique. 

En avril 2023, des soldats azerbaïdjanais ferment définitivement le corridor, privant de nourriture, de médicaments, de pétrole et d’électricité les habitants de l’enclave, provoquant une crise humanitaire catastrophique. Le Haut-Karabagh est isolé, coupé du reste du monde.

Le 20 septembre 2023, en violation totale du cessez-le-feu signé en 2020, l’Azerbaïdjan lance une offensive éclair de vingt-quatre heures sur l’ensemble de la ligne de front contraignant les forces séparatistes de capituler. Un nouveau cessez-le-feu est conclu. Elle signifie la victoire de Bakou sur les forces arméniennes. 

Le jeudi 28 septembre, le président du Haut-Karabagh Samvel Chahramanian, signe un décret annonçant sa dissolution au 1er janvier 2024. Ce sera la fin définitive pour l’enclave séparatiste. 

C’est l’exode ! Redoutant un nettoyage ethnique, les Arméniens du Haut-Karabagh fuient en masse vers l’Arménie. 

Les images sont terrifiantes, d’une immense et profonde tristesse. Le corridor de Latchine est encombré de véhicules dans lesquels s’entassent des familles épuisées, affamées, fuyant leur pays sous la surveillance des vainqueurs azerbaïdjanais. Ils ont pris ce qu’ils pouvaient emporter, laissant leur bétail, leurs souvenirs et leur cœur. 

Laissant aussi leurs proches enterrés dans le « jardin noir ».

Le 1er octobre 2023, plus de cent mille personnes, la quasi-totalité du petit morceau de terre profondément arménienne, ont fui. L’enclave reste hermétiquement fermée à la presse et aux observateurs internationaux, tandis que les réfugiés témoignent de violences et de haine. Une nouvelle fois, des Arméniens ont tout perdu. 

Échoué à l’Azerbaïdjan, le Haut-Karabagh semble avoir « tourné la dernière page de son histoire »… 

Pour résumer… 

Le Haut-Karabagh ou Artsakh est une terre historiquement arménienne et majoritairement peuplée d’Arméniens depuis plus de deux millénaires. 

En 1920 fut créée la République socialiste fédérative soviétique de Transcaucasie qui regroupait la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Le Haut-Karabagh intégra officiellement la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan. En 1936, Staline a dissous la république transcaucasienne, ce qui entraîna l’émergence des Républiques socialistes soviétiques d’Arménie,
de la Géorgie et d’Azerbaïdjan. Le dictateur décida de donner le Haut-Karabakh, composé à plus de quatre-vingt-dix pour cent d’Arméniens, à l’Azerbaïdjan, une décision vouée à être contestée. 

En 1989, tout au début du conflit, le dissident soviétique et prix Nobel de
la paix, Andreï Sakharov résuma : « Le Karabakh est une question de survie pour les Arméniens et d’orgueil national pour l’Azerbaïdjan ». 

Entre 1988 et 1994, les Arméniens de l’enclave combattirent pour la récupérer et déclarèrent son indépendance. Indépendance qui ne fut jamais reconnue par la communauté internationale. Le Haut-Karabagh était au cœur d’un jeu pervers des puissances régionales, tandis que les pays occidentaux se faisaient discrets. 

Je m’interroge. Aujourd’hui, devons-nous en vouloir à l’Azerbaïdjan de reconquérir le Haut-Karabagh ? Pouvons-nous reprocher aux Arméniens de le convoiter ? Devons-nous accuser la communauté internationale de son silence ? Sous le prétexte qu’il est difficile d’être résolument objectif ? 

Le Haut-Karabagh est, et restera, une terre en souffrance…

Tapis magique… Mille et une églises à l’ombre de l’Ararat. » Geghard, le monastère Saint-Lance. 2/2. »

Une immersion en Arménie et en Haut-Karabagh. Juin 2009.

« Geghard, lueurs dans la pénombre. 2/2. »

Une fois à l’intérieur, nous nous retrouvons baignés dans l’atmosphère étrange, presque éthérée, du gavit. De robustes piliers scandent l’espace, d’élégantes arcades brouillent les sens. D’étroites fenêtres et l’erdik, le lanternon, déversent des faisceaux de lumière sur les sculptures.

L’intérieur est épuré, obscur. Il porte une grande influence orientale. Les bas-reliefs sont raffinés. 

Entre ombre et lumière règne le silence, presque palpable. Dans de grands porte-cierge, plantés dans du sable, vacillent les flammes d’innombrables petites bougies jaunes. Une mère, son enfant dans les bras, allume un cierge, fait une prière, nous offre un sourire. 

Du gavit à l’église, de la chapelle au mausolée au jamatoun, je m’attarde, j’observe. Je marche sur des dalles de pierres noires usées par les pas des fidèles, je traverse des seuils inégaux. Tout est noir, très noir, mais loin d’être sinistre, au contraire, c’est une noirceur qui prête à la réflexion.

J’admire une icône en précaire équilibre sur un rebord. Je suis touchée par une toute petite croix rouge déposée dans une niche et je me demande qui a pu la laisser là et pour quelle raison. Quelle requête est derrière ce geste si simple, si pur, si… évident ? 

Je lève le regard vers l’erdik qui laisse pénétrer un étroit rayon de lumière. Je cherche et je trouve l’âme de ce sanctuaire sombre. Je suis envoûtée par ce lieu empreint d’une profonde dévotion.  

Arménie, monastère de Geghard, gavit. Juin 2009.
Arménie, monastère de Geghard, l’église principale, Kathoghike. Juin 2009.
Arménie, monastère de Geghard, jamatoun, lieu de sépulture de la famille Prochian. Juin 2009.
Arménie, monastère de Geghard, gavit. Juin 2009.
Arménie, monastère de Geghard, gavit. Juin 2009.
Arménie, monastère de Geghard, jamatoun, lieu de sépulture de la famille Prochian. Juin 2009.
Arménie, monastère de Geghard, petite chapelle rupestre Asvatsatsine. Juin 2009.
Arménie, monastère de Geghard, petite chapelle rupestre Asvatsatsine, « Sainte-Mère de Dieu ». Juin 2009.
Arménie, monastère de Geghard, gavit. Juin 2009.
Arménie, monastère de Geghard, gavit. Juin 2009.
Arménie, monastère de Geghard, jamatoun, lieu de sépulture de la famille Prochian. Juin 2009.

Tapis magique… Mille et une églises à l’ombre de l’Ararat. « Geghard, le monastère Sainte-Lance. 1/2. »

Une immersion en Arménie et en Haut-Karabagh. Juin 2009.

« Geghard, le monastère Sainte-Lance. 1/2. »

Le monastère de Geghard est caché au fond d’une vallée verdoyante, surplombé par de hautes parois rocheuses. Une cascade dévale des falaises et s’écoule sous ses remparts. 

Enjambé par un petit pont en bois, c’est un lieu de promenade pour les habitants de Yerevan qui y trouvent fraîcheur et sérénité. Des rubans votifs multicolores sont accrochés aux arbres tout le long de la rivière, signe de pèlerinage. 

Près de la porte d’entrée se sont installés des marchands ambulants qui proposent des produits du terroir.

Fondé probablement au IVe siècle, au temps des premiers chrétiens, le monastère se composait de quelques grottes et se nommait Ayrivank, « monastère de la caverne ». Saint Grégoire l’Illuminateur y aurait vécu. 

Devenu un grand centre du christianisme, le complexe servit de refuge pendant l’invasion arabe. Il sera ensuite pillé, détruit, et reconstruit plusieurs fois jusqu’à l’édification de l’église principale 
au XIIIe siècle par la famille Prochian. 

Le monastère devint un haut lieu spirituel et un important site de pèlerinage car le fer de la lance romaine qui transperça le flanc du Christ y était conservée. Aujourd’hui, la relique est exposée au musée d’Edchmiadzin. 

L’enceinte renferme l’église Sourp Astvatsatsin, Sainte-Mère-de-Dieu, des cellules monacales, une chapelle funéraire et le mausolée de la famille Prochian. Le monastère a la particularité de posséder un gavit accolé à l’église, ainsi qu’un jamatoun. 

Le jamatoun est une forme tardive du gavit qui peut être détaché du sanctuaire principal.

Le monastère est tout simplement magistral, exemple exceptionnel de l’architecture monastique médiévale arménienne et de l’art monumental. 

La façade est pourvue d’un magnifique décor sculpté. Les caractéristiques novatrices eurent une profonde influence sur le développement ultérieur des églises dans la région. Autour du bâtiment principal, nous découvrons avec fascination les nombreuses croix incrustées dans les parois rocheuses et les différentes chapelles, parfois rupestres, accessibles par des échelles et des passerelles. 

La lumière est éblouissante. Dans le ciel bleu flottent quelques nuages blancs. 

Puis nous poussons la porte du gavit…

Arménie, monastère de Geghard. Juin 2009.
Arménie, monastère de Geghard. Juin 2009.
Arménie, monastère de Geghard. Juin 2009.
Arménie, monastère de Geghard. Juin 2009.
Arménie, monastère de Geghard. Juin 2009.
Arménie, monastère de Geghard, katchgars. Juin 2009.
Arménie, monastère de Geghard. Juin 2009.
Arménie, monastère de Geghard, katchgars. Juin 2009.

Tapis magique… Mille et une églises à l’ombre de l’Ararat. « Le temple de Garni. » 

Une immersion en Arménie et en Haut-Karabagh. Juin 2009.

« Le temple de Garni. » 

Sur fond de montagnes, Garni est située dans un écrin de verdure à 1400 mètres d’altitude dans la haute vallée de l’Azad. Datant du Ier siècle de notre ère, le temple, de style gréco-romain, est une élégante construction de basalte gris clair posée sur un haut podium. Il est entouré de vingt-quatre colonnes d’ordre ionique. 

Autrefois dédié au dieu Mithra, le dieu Soleil, c’est le seul vestige païen ayant survécu à la destruction massive des centres du paganisme commanditée par Grégoire l’Illuminateur après la conversion de l’Arménie au christianisme. 

La nouvelle religion conféra à Garni le statut de siège épiscopal, mais, étrangement, le temple fut épargné. Une hypothèse suggère qu’il s’agirait d’un tombeau et non pas d’un sanctuaire, ce qui l’aurait sauvé. 

Il s’effondra lors d’un séisme en 1679 mais fut restauré dans les années 1969-1975. 

Le temple au fronton triangulaire est entouré d’un péristyle. Les fûts lisses des colonnes sont surmontés de gracieux chapiteaux ioniens à volutes. Les sculptures des chapiteaux, architraves, corniches et caissons montrent une grande variété de frises d’acanthes, d’oves, de grenades, de vignes, de feuilles de laurier et de noyer ainsi que de têtes de lion. 

Je monte les marches vers le podium. Établi sur un promontoire triangulaire, le temple surplombe les gorges aux falaises vertigineuses de la rivière. La vue est époustouflante. Je passe le seuil.

L’intérieur est très sobre. Au fond de la salle, dans le naos, le saint des saints, trône une seule chapelle au fronton triangulaire. Jadis, elle comportait probablement la statue de la divinité. 

Je m’approche de cette mystérieuse niche vide. Je me demande de quoi avait l’air la représentation du dieu, de quelle matière était-elle faite ? Quelles cérémonies se déroulèrent ici ? J’imagine les flammes des torches qui illuminaient le sanctuaire, les volutes de l’encens s’élevant sous la voûte, les incantations des prêtres… 

Dehors, le soleil est au zénith. Sur le point de quitter les lieux, je me retourne. Un dernier regard vers un édifice énigmatique, un survivant du temps.

Arménie, haute vallée de l’Azad. Juin 2009.
Arménie, vestiges de l’église circulaire et temple de Garni. Juin 2009.
Arménie, vestiges de l’église circulaire et temple de Garni. Juin 2009.
Arménie, temple de Garni. Juin 2009.
Arménie, temple de Garni. Juin 2009.
Arménie, temple de Garni. Juin 2009.
Arménie, temple de Garni. Juin 2009.
Arménie, haute vallée de l’Azad. Juin 2009.

Tapis magique… Mille et une églises à l’ombre de l’Ararat. « Le puits profond de saint Grégoire. 2/2. » 

Une immersion en Arménie et en Haut-Karabagh. Juin 2009.

« Le puits profond de saint Grégoire. 2/2 .» 

Le premier lieu saint de l’Arménie chrétienne sera l’église édifiée au-dessus de la fosse à Artashat où fut emprisonné Grégoire. Elle se situe dans l’angle nord-ouest de la cour. Nous poussons la porte. Elle s’ouvre avec un grincement sinistre. Nous avançons dans la pénombre.

À droite de l’autel, une trappe laisse entrevoir une échelle. Je descends avec précaution dans l’abysse. Les barreaux en métal sont tordus et glissants. Dix mètres plus bas, dans la lumière faible d’une ampoule, je contemple la petite pièce circulaire. Les murs sont grossièrement taillés dans la roche, l’air est confiné. Un petit bouquet de fleurs des champs a été déposé devant une statue de la vierge. Les flammes de quelques cierges sur l’autel vacillent et dessinent des ombres mystérieuses sur les murs et la coupole rudimentaire recouverts d’ex-voto gravés par les pèlerins au cours des siècles. L’humidité est pénétrante.

C’est ici, dans ce khor virap, « puits profond », que Grégoire croupit durant treize années. J’ai hâte de remonter, fuir cet endroit dépourvu de toute humanité. M’échapper de cette atmosphère étouffante. Quitter ce lieu oppressant qui est pourtant le fondement du christianisme en Arménie. 

Dehors, l’air est devenu vaporeux. Le sommet de l’Ararat s’est réfugié dans un édredon de nuages. Le gardien, affaissé sur sa chaise à l’ombre du portique, est concentré sur son chapelet. Prie-t-il pour qu’un jour la montagne revienne de nouveau au peuple arménien ? 

La petite église capte les derniers rayons du soleil. Le sanctuaire s’épanouit dans les nuances chaudes du tuf orange et ocre contrasté de basalte gris ajoutant la touche d’austérité qu’exige un tel lieu.

Arménie, Artashat, monastère Khor Virap, la fosse. Juin 2009.
Arménie, Artashat, monastère Khor Virap, la fosse. Juin 2009.
Arménie, Artashat, monastère Khor Virap. Juin 2009.

Tapis magique… Mille et une églises à l’ombre de l’Ararat. « Le puits profond de saint Grégoire. 1/2. »

Une immersion en Arménie et en Haut-Karabagh. Juin 2009.

« Le puits profond de saint Grégoire. 1/2. »

L’horizon est barré par la montagne biblique, gigantesque masse enneigée dominant la plaine. Quelques nuages flottent dans le ciel et autour du sommet. 

Puis, semblant minuscules, dominés par la silhouette tutélaire de l’Ararat, hissés au sommet d’une éminence rocheuse, se dessinent les remparts du monastère de Khor Virap. Le tambour élancé et la coupole conique de l’église s’élèvent au-dessus des murailles. Cet élégant détail typique de l’architecture arménienne, émouvant dans sa simplicité, admirable par sa complexité, est le double du sommet pyramidal parfait du Petit Ararat, haut de 3925 mètres, cône volcanique irréprochable. 

La route longe un cimetière envahi d’herbes folles et grimpe la côte vers la sixième colline de la ville haute de l’ancienne Artashat. Nous franchissons le porche et pénétrons dans la cour du monastère. Au centre se dresse l’église Sainte-Mère-de-Dieu, Atvatsatsin, construite sur un plan en croix inscrite précédée par un gavit, sorte de narthex propre aux églises arméniennes. 

Nous montons sur les remparts. Le mont Ararat se dresse devant nous, majestueux, sa présence presque palpable, témoin muet de la naissance du christianisme dans le royaume…

Grigor Loussavoritch Hayrapet naquit en Arménie vers 257. Issu d’une famille de la noblesse parthe, branche cadette de l’ancienne famille impériale des Arsacides, il grandit à Césarée, en Cappadoce, dans un milieu chrétien. Il y épousa une jeune femme de sang royal, fille d’un prince arménien vivant en Cappadoce qui lui donna deux fils : Aristakès et Verthanès. Grégoire fut sacré évêque par le métropolite Léonce de Césarée. 

À la fin du IIIe siècle, sous le règne de Tiridate IV, (souvent confondu avec Tiridate III par les historiens anciens), il quitta Césarée avec les reliques de saint Jean-Baptiste et du saint martyr Athanagène pour évangéliser l’Arménie. Sur place, il se heurta à une farouche résistance. Lorsque l’apôtre refusa d’honorer la déesse Anahita, sur les ordres du roi, il fut torturé et jeté dans un « puits profond », khor virap, au château d’Artashat. Grâce à une miche de pain que lui apportait chaque jour une veuve chrétienne, renforcé par sa foi, il réussit à survivre. 

Tiridate, pendant ce temps, poursuivait les persécutions contre les chrétiens.

En l’an 301, Tiridate souffrit d’une grave maladie. Les causes de ce mal, peut-être mental, restaient mystérieuses pour tous les médecins de la cour et aucun traitement ne fit effet. Un songe révéla alors à la sœur du roi que le missionnaire Grigor, précipité quelques années plus tôt au fond d’une fosse à Artashat, pouvait le guérir. Elle convainquit son frère de l’emmener auprès de lui. 

Ainsi fut fait. Le roi, miraculeusement rétabli, libéra Grigor ou Grégoire. Touché par la rédemption, il se convertit et proclama le christianisme religion d’État. Cet acte fit de l’Arménie la première nation chrétienne de l’histoire. L’événement est traditionnellement situé en 301. Grégoire, nommé catholicos d’Arménie, devint alors « l’Illuminateur ». 

Arménie, Khor Virap, au fond, le Petit Ararat. Juin 2009.
Arménie, monastère Khor Virap et mont Ararat. Juin 2009.
Arménie, église Sainte-Mère-de-Dieu, Atvatsatsin, du monastère Khor Virap. Juin 2009.
Arménie, église Sainte-Mère-de-Dieu, Atvatsatsin, du monastère Khor Virap. Juin 2009.
Arménie, monastère Khor Virap, la rédemption du roi Tiridat, ici prosterné devant saint Grigor. Juin 2009.

Tapis magique… Mille et une églises à l’ombre de l’Ararat. « La joie d’Artaches. » 

Une immersion en Arménie et en Haut-Karabagh. Juin 2009.

« La joie d’Artaches. »

Sur les hauts plateaux règne le mont Ararat, immuable. Les miradors et les grillages surmontés de barbelés nous rappellent que nous sommes à moins de cent mètres de la frontière. Côté turc, des paysans labourent la terre. Côté arménien, les champs sont couverts de vignes. 

C’est ici que commença l’histoire glorieuse de la Grande Arménie. En 189 avant Jésus-Christ, Artaches, en grec Artaxias, fonda le royaume d’Arménie ou Grande Arménie, gouverné par la dynastie des Artaxiades dont Tigrane le Grand, roi des rois, un siècle plus tard, sera le plus illustre souverain. Artaches construisit une nouvelle capitale, Artashat, « la joie d’Artaches ». 

À l’ombre de l’Ararat, la ville était bâtie sur une presqu’île formée par le coude du fleuve Araxe qui baignait ainsi ses murs de trois côtés, tandis que le quatrième, constituant l’isthme de la presqu’île, était fermé par un fossé et un rempart. La cité fortifiée s’étalait sur sept collines. Hannibal, le général carthaginois qui, en fuyant Rome, s’était rendu à la cour d’Artaches pour y proposer ses services, a fortement influencé l’architecture de la nouvelle capitale dont le roi lui avait attribué la planification et la supervision de la construction. 

L’enceinte de la citadelle s’appuyait sur l’exemple de l’architecture défensive hellénistique avec des tours carrées. Le premier théâtre d’Arménie y sera construit. Cependant, la cité demeura profondément orientale. Il n’y eut point de plan systématique ou d’édifices prestigieux. Les nombreux temples et autels dressés en l’honneur de la déesse Anahita-Artémis étaient de conception simple. 

Aujourd’hui errent sur la plaine les fantômes des temps révolus. De la cité au passé illustre ne restent que quelques vestiges abandonnés : bains, tracés des rues, fondations d’un temple. Ils agonisent au cœur de la vallée arrosée par les eaux impétueuses de la rivière Araxe et fertilisée par les laves du volcan. La proximité de la frontière en interdit l’accès. 

Difficile d’imaginer que la ville à son apogée occupait environ quatre cent hectares, que les murailles de fortifications s’étendaient sur dix kilomètres, et qu’elle était peuplée de cent cinquante mille âmes ! 

Au Ier siècle de notre ère, le géographe grec Strabon et le philosophe Plutarque décrivent la cité comme une grande et belle ville et la proclament « la Carthage arménienne ».

Si Artashat continua à remplir le rôle de capitale de la dynastie des Artaxiades, elle fut avant tout un fief royal, à vocation militaire et administrative. Elle marquait la réunification de l’État arménien tandis que Garni, un peu plus à l’est et située à une altitude plus élevée, devint le lieu privilégié de résidence d’été de la dynastie.

La cité atteignit son apogée sous le règne de Tigrane le Grand, le plus brillant souverain de la dynastie des Artaxiades… 

Arménie, plaine de l’Ararat et site de l’ancienne capitale Artaches, juin 2009.
Arménie, vignes dans la plaine de l’Ararat, juin 2009.
Arménie, mirador sur fond du mont Ararat, juin 2009.

Tapis magique… Mille et une églises à l’ombre de l’Ararat. « Le mont Ararat. » 

Une immersion en Arménie et en Haut-Karabagh. Juin 2009.

« Le mont Ararat. »

Le mont Ararat, culminant à 5165 mètres d’altitude, se situe à l’extrême est de la Turquie, près des frontières de l’Arménie et de l’Iran. Son nom apparaît pour la première fois dans la Bible. 

Dans cette région et autour des grands lacs du haut-plateau arménien s’est épanoui, au Ier millénaire avant Jésus-Christ, l’antique royaume d’Ourartou, disparu et remplacé par la nation arménienne. 

Dominant la ville de Yerevan, l’Ararat, montagne mythique, est si éblouissante, si grandiose, qu’elle semble irréelle. Une hallucination faite de neige et de glace dissimulant un socle de lave et une strate basaltique domptant le feu qui sommeille dans ses entrailles. Une cime aperçue un jour par Noé s’élevant, tel un mirage, au-dessus des eaux du Déluge.

La Genèse : « Et Dieu fit passer un vent sur la terre, et les eaux baissèrent, et les fontaines de l’abîme et les écluses des cieux se fermèrent, et la pluie cessa de tomber des cieux. Et les eaux se retirèrent de dessus la terre peu à peu ; et les eaux diminuèrent au bout de cent cinquante jours, et l’arche s’arrêta sur les montagnes d’Ararat ». 

Appelé Massis par les Arméniens, l’Ararat, haut lieu historique, au carrefour des civilisations entre les routes d’Orient et d’Occident, fut autrefois englobé dans les antiques royaumes d’Ourartou et d’Arménie, puis dans l’Empire ottoman. 

La montagne semble si près et pourtant, elle est tellement inaccessible… 

Car l’Ararat, en terre ennemie, est le symbole poignant d’un pays auquel la montagne fut arrachée et sa perte, pour les Arméniens, est une blessure profonde, inguérissable. « Il est notre honneur, notre histoire, notre tristesse, notre paradis perdu ». Cette perte est due au tracé des frontières entre l’Arménie et la Turquie défini par le traité de Kars en 1921. Le mont Ararat échoue à la Turquie. L’Arménie, intégrée à l’Union soviétique devenue République socialiste soviétique d’Arménie, perd son icône, symbole de la terre historique. 

Le mont Ararat est présent sur les armoiries arméniennes dès la création de la Première République d’Arménie en 1918. Sur celles de la République socialiste soviétique, adoptées en 1937, la montagne est surmontée par la faucille et le marteau. Depuis 1992, l’Ararat est représenté avec l’arche de Noé sur son sommet. 

Dans les années 1950, l’emblème devient la source d’un différend entre l’Union soviétique et la Turquie. Cette dernière conteste l’image de l’Ararat utilisée par l’Arménie, parce que localisé sur son territoire. Elle considère cela comme une revendication territoriale soviétique. Nikita Khrouchtchev, dirigeant de l’Union soviétique de l’époque, répond : « Pourquoi votre drapeau contient-il une représentation de la lune ? Après tout, la lune n’appartient pas à la Turquie, ni même sa moitié… Voulez-vous prendre le contrôle de l’univers tout entier ? ». Le gouvernement turc abandonna sa plainte. 

Symbole même d’une nation, d’une culture, résignée, la montagne biblique veille… 

Elle veille sur la terre que Noé commença à cultiver. La Genèse : « Noé commença à cultiver le sol et planta de la vigne. Et il but du vin et s’enivra »…

Le mont Ararat dominant la ville de Yerevan, juin 2009.
Le Petit Ararat et le mont Ararat vus depuis l’Arménie, juin 2009.
Le mont Ararat et le Petit Ararat vus depuis l’Iran, novembre 2000.
Le mont Ararat vu depuis la Turquie, juin 2006.

Tapis magique… Mille et une églises à l’ombre de l’Ararat. « Le fort aux hirondelles ». 

Une immersion en Arménie et en Haut-Karabagh. Juin 2009.

« Le fort aux hirondelles ». 

Toutes ces atrocités ont été perpétrées contre les Arméniens, alors qu’ils n’avaient rien fait pour les mériter. 

Arnold Toynbee, historien britannique, 1915.

Marqué par une flèche de granite représentant la renaissance de la nation arménienne, le Tsitsernakaberd, « fort aux hirondelles », est drapé d’un silence de plomb. Le mémorial dédié aux victimes du génocide perpétré par le gouvernement Jeunes-Turcs en 1915-1916 est situé sur une des collines de la capitale.

Dans le musée circulaire souterrain, nous nous plongeons dans une réminiscence de l’horreur à laquelle les Arméniens furent soumis lors de cette terrible période à la veille de la chute de l’Empire ottoman. Une période que la République turque préfère oublier, nier… 

Car deux tiers des Arméniens, un million deux cent mille personnes, vivant sur le territoire actuel de la Turquie périrent…

Au début du XXe siècle, le Comité Union et Progrès (CUP), le parti politique nationaliste révolutionnaire et réformateur ottoman ou Jöntürkler, Jeunes-Turcs, menèrent la rébellion contre le sultan qui fut renversé et exilé en 1909. Puis ils planifièrent déportations et massacres de grande ampleur pour turquifier l’Anatolie. 

La première phase du génocide commença, dès février 1915, avec le désarmement des soldats et gendarmes arméniens enrôlés dans l’armée ottomane en dépit de la déclaration d’Ismail Enver : « les soldats arméniens de l’armée ottomane ont rempli scrupuleusement tous leurs devoirs sur le champ de guerre, ce dont je puis témoigner personnellement. Je vous prie d’exprimer toute ma satisfaction et ma reconnaissance au peuple arménien dont le parfait dévouement au gouvernement impérial ottoman est bien connu ». 

S’ensuivirent des perquisitions et des arrestations qui frappèrent notamment les intellectuels arméniens de Constantinople. Leur assassinat marqua le véritable point de départ d’un génocide. 

Après la défaite contre les Russes, devant la crainte d’un ralliement des Arméniens aux troupes russes ennemies, des massacres furent organisés dans les régions de l’est, puis dans les régions éloignées du front enlevant le doute sur l’accusation de collaboration avec l’ennemi. 

La deuxième phase concerna le reste du territoire de l’Empire ottoman et débuta avec l’envoi d’un télégramme de la part du ministre de l’intérieur Talaat Pacha à la direction du parti Jeunes-Turcs : « Le gouvernement a décidé de détruire tous les Arméniens résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que soient les mesures à prendre. Il ne faut tenir compte ni de l’âge ni du sexe. Les scrupules de conscience n’ont pas leur place ici ». 

Un second télégramme est plus explicite encore : « Il a été précédemment communiqué que le gouvernement a décidé d’exterminer entièrement les Arméniens habitant en Turquie. Ceux qui s’opposeront à cet ordre ne pourront plus faire partie de l’administration. Sans égard pour les femmes, les enfants et les infirmes, si tragiques que puissent être les moyens d’extermination, sans écouter les sentiments de la conscience, il faut mettre fin à leur existence ».

Commence alors, sous le prétexte d’une relocalisation, une déportation de masse sys-tématique. Les convois de déportés, près de neuf cent mille personnes, convergèrent vers Alep où ils furent répartis selon deux axes. Une partie, envoyée vers la Syrie, le Liban et la Palestine, survivra. L’autre fut déportée vers l’est, le long de l’Euphrate, vers Deir-ez-Zor, où furent improvisés des camps de concentration. En juillet 1916, les prisonniers furent emmenés dans le désert mésopotamien et exécutés ou laissés à l’abandon. 

Hitler s’inspirera du génocide arménien, « un génocide exemplaire », dira-t-on, pour la « solution finale ».

L’Arménie expire. Mais elle renaîtra. Le peu de sang qui lui reste est un sang précieux dont sortira une postérité héroïque. Un peuple qui ne veut pas mourir ne meurt pas.  

Anatole France, écrivain français. 1916.

Après l’effondrement de la Russie et de l’Empire ottoman, successivement en 1917 et 1918, les Arméniens parvinrent à créer une république indépendante. 

En 1919, à Constantinople, se tint le procès des Unionistes. Sans leur présence car ils avaient pris la fuite en 1918, les principaux responsables du génocide furent condamnés à mort par contumace. La cour martiale établit leur volonté d’éliminer physiquement les Arméniens. 

Pourtant, la majorité des premiers dirigeants de la Turquie moderne étaient issus des rangs jeunes-turcs, y compris Mustapha Kemal, et nombre d’entre eux furent compromis dans le génocide. L’éradication de la présence arménienne dans le pays fit même partie des lois adoptées. Lorsque Kemal arriva au pouvoir en 1923 avec sa politique de retour aux racines turques, le génocide arménien fut fortuitement oublié. 

Dans une controverse, la jeune République turque, dès les années 1920, reconnut huit cent mille victimes dans ce que Mustafa Kemal a défini publiquement comme « un acte honteux ». Dans une crise de colère, il a également dit, au sujet des responsables que « ce sont des espèces d’hommes qui devraient être pendus, de grands assassins ». 

Encore aujourd’hui, les autorités d’Ankara récusent le mot génocide et passent cela sous « massacres croisés sur fond de guerre et l’effondrement de l’Empire ottoman ». 

Face aux conséquences du génocide, à la dévastation de l’Arménie occidentale et à la guerre contre les armées de Mustafa Kemal, l’Arménie, affaiblie, se résigna à accepter la protection des bolchéviques. Ainsi, en 1920 naquît la République soviétique d’Arménie. Elle ne couvrit qu’une partie du territoire historique de l’Arménie, le pays ayant perdu Ani, l’église d’Aghtamar sur le lac de Van ainsi que le mont Ararat. Intégrée dans la République socialiste fédérative soviétique de Transcaucasie, elle devint une république socialiste soviétique à part entière en 1936. 

Mais Staline, décidé de débarrasser l’Union soviétique de toute religion, pris des mesures qui persécutèrent l’église apostolique qui avait déjà vu ses possessions confisquées en 1920. En 1938, après l’assassinat du catholicos, le catholicosat d’Etchmiadzine fut fermé et l’église survit dans la clandestinité et à travers la diaspora. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Arménie reste relativement à l’écart des conflits. 

À partir de 1953, sous Khrouchtchev, l’Arménie connut un rapide redressement économique et culturel et une certaine liberté religieuse fut accordée aux Arméniens.

L’introduction par Mikhaïl Gorbatchev de la glasnost, « transparence », et de la perestroïka, « reconstruction », dans la seconde moitié des années 1980 ravivent les espoirs d’une vie meilleure au sein de l’Union soviétique chez les Arméniens. 

L’Arménie accède à son indépendance le 21 septembre 1991. Les relations avec la Turquie restent très conflictuelles en raison de la disparition de deux tiers de la population arménienne en 1915 et la négation de ce fait par la Turquie. La frontière entre l’Arménie et la Turquie est toujours fermée.

La collection du musée consiste essentiellement en des clichés pris par des photographes allemands, l’Allemagne alliée de la Turquie. Images de cadavres entassés, de corps pendus, de gens torturés, décapités, de convois de déportation, de camps de réfugiés, de jeunes femmes vendues comme esclaves, d’enfants cadavériques. Confrontés à ces poignants témoignages d’horreur, nous sommes profondément secoués. Tant de barbarie, tant de destins brisés… 

Dehors, en traversant les jardins, véritable havre de paix après l’atmosphère oppressante du musée, Philippe me rappelle les massacres hamidiens. Ceux-ci furent perpétrés contre les Arméniens de l’Empire ottoman entre 1894 et 1896 par le sultan Abdulhamed II, connu en Europe sous le nom de « Sultan Rouge » ou encore de « Grand Saigneur ». 

Après la première révolte de la résistance arménienne face aux persécutions à Sassoun et la répression sanglante par les autorités locales, les puissances occidentales intervinrent, en vain. Suite à une manifestation à Constantinople qui se termina dans un bain de sang, les violences s’étendirent rapidement aux autres provinces peuplées par les Arméniens. Les massacres se poursuivirent jusqu’en 1897. Le nombre de victimes de cette période est estimé à deux cent mille, d’innombrables villages et églises furent détruits et plus de cents mille Arméniens partirent en exil dans des pays occidentaux. Les massacres hamidiens furent le prélude du processus génocidaire qui allait suivre vingt ans plus tard…  

Confrontés à ces poignants témoignages d’horreur, nous sommes profondément secoués. Mais sans pour autant oublier ce passé douloureux, les Arméniens se battent pour un avenir meilleur. Yerevan est vibrante, sa population chaleureuse. Sur les terrasses l’animation est grande, sur les marchés règne la ferveur. Les rues sont bruyantes, les places bondées. Yerevan m’a séduite, conquise. J’aime son ambiance surannée. J’aime la présence bienveillante de l’Ararat. Du haut des marches de la Cascade, je contemple la ville dominée par la masse majestueuse de la montagne biblique… 

Arménie, Yérévan, Tsitsernakaberd, « fort aux hirondelles », juin 2011.
TsitserArménie, Yérévan, Tsitsernakaberd, « fort aux hirondelles », juin 2011.
Arménie, Yérévan, Tsitsernakaberd, « fort aux hirondelles », juin 2011.
Arménie, encens… juin 2009.
Arménie, Yérévan, le Petit Ararat et le mont Ararat depuis le sommet de la Cascade, juin 2009.

Tapis magique… Mille et une églises à l’ombre de l’Ararat. « D’Erebouni à Yérévan ». 

Une immersion en Arménie et en Haut-Karabagh. Juin 2009.

« D’Erebouni à Yérévan ». 

Loin de l’image des villes austères et sans âme de l’ancienne République soviétique, Yerevan est une ville agréable, pleine de vie, qui se libère peu à peu des symboles du régime communiste.

Pendant plusieurs jours nous découvrons les traces qu’ont laissée ses occupants successifs. Le site archéologique d’Erebouni dévoile les origines ourartéennes de la cité. La mosquée Goy rappelle la période perse. La gare, l’opéra et de nombreux bâtiments publics sont des réminiscences de l’époque soviétique. Autour de la place de la République, anciennement appelée place Lénine, de somptueux immeubles aux courbes qui épousent la forme de la place sont construits en tuf ocre et rouge et ornés de sculptures raffinées. Dans la Matenadaran est préservé la plus grande collection de manuscrits et de documents anciens au monde. Devant le bâtiment austère, gris ardoise, trône une statue de Mesrop Machtots, créateur de l’alphabet arménien en 405.  Un arrêt à l’église Sourp Sarkis, puis nous longeons les gorges de Hrazdan pour finalement bifurquer vers le centre-ville.

Nous nous baladons, nous flânons, entourés de la chaleureuse population. Nous nous laissons tenter par les délices proposés au marché Pak Shuga. Nous nous installons sur une terrasse pour boire un café, la « boisson maudite » donné par le Diable aux musulmans pour les consoler de ne pouvoir boire le vin, boisson sacrée du Christ. Le café fut démocratisé en Occident au XVIIe siècle par le pape Clément VIII en déclarant que « l’arôme du café est chose bien trop agréable pour être l’œuvre du Malin et il serait dommage que les musulmans en aient l’exclusivité. Jouons un tour à Satan… en le baptisant ! ». 

Les Arméniens apprécient beaucoup le café mais, surtout, ils savent le préparer. Les Arméniens Georgièsse Déodatous, Hovhannes Astvatsatour et Pascal Kharokian seront les premiers à servir le café à Prague, Vienne et Paris. Le serveur se présente. « Barez dzez », bonjour ! « Barez dzez, pari galasud », bonjour, bienvenue. « Deux cafés ». « Café arménien ? ». Nous hochons la tête. Le café est servi dans une petite casserole de cuivre, « cezve ». Nous attendons que le marc se dépose avant de verser le breuvage brûlant dans les petites tasses. Ce café de type oriental est généralement appelé « café turc » car il s’est développé dans l’Empire ottoman. Terme qui ne nous viendrait pas à l’idée d’utiliser ici, en Arménie… 

Arménie, Yerevan, place de la République, juin 2009.
Arménie, Yérévan, Erebouni, juin 2009.
Arménie, Yérévan, mosquée Goy, juin 2009.
« Arménie, Yérévan, église Sourp Sarkis, juin 2009.
Arménie, Yérévan, place de la République, juin 2009.
Arménie, Yerevan, place de la République, musée de l’histoire de l’Arménie, juin 2009.
Arménie, Yerevan, juin 2009.
Arménie, Yerevan, marché Pak Shuga, juin 2009.
Arménie, Yerevan, marché Pak Shuga, juin 2009.
Arménie, Yerevan, gare, juin 2009.
Arménie, Matenadaran, juin 2009.